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« LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE EST LE RÉVÉLATEUR DE NOTRE AVEUGLEMENT»
TRIBUNE DE JEAN-LOUIS BIANCO
Depuis quelques jours, ce qu'il est désormais convenu d'appeler la crise alimentaire mondiale fait la une des médias. Cette crise est d'abord la conséquence directe des augmentations spéculatives des matières premières. Sans réforme profonde, la prochaine sera plus grave encore et atteindra nos pays développés.
Un simple constat chiffré suffit à donner la mesure du drame : pour que le Programme Alimentaire Mondial (PAM) puisse nourrir 90 millions de personnes dans 85 pays comme c'était le cas il y a trois ans, il faudrait 500 millions de dollars supplémentaires par an. Pour nourrir les 100 millions supplémentaires touchés par la crise actuelle, il faudra environ 3,4 milliards de dollars de plus par an pendant au moins cinq ans. Faute de budget, le PAM a pourtant dû suspendre l'aide alimentaire de dizaines de millions de populations vulnérables. Si les États riches ont su voler au secours des banques victimes de leurs propres excès (les subprimes), pourquoi serait-il impossible de sauver un milliard d'êtres humains ?
L'évolution du prix du pétrole a fait des ravages pour les pays en voie de développement en augmentant considérablement le coût du transport des denrées alimentaires. En même temps les biocarburants entrent en compétition avec la sécurité alimentaire. En Indonésie des centaines de milliers d'hectares de cultures vivrières sont convertis en fermes d'huile de palme. Le même scénario se met en place au Cameroun, au Ghana et au Kenya.
La crise alimentaire, par sa nature et par son ampleur, dépasse de beaucoup une simple dimension agricole. Toute l'organisation de notre commerce mondial doit être modifiée, à travers de nouvelles négociations au sein de l'OMC. Nous partons de loin : durant les trente dernières années la mécanique du marché a entrepris de détruire la paysannerie mondiale, avec comme conséquence une perte catastrophique de savoir faire, l'exode rural qui aggrave les problèmes des villes et des importations massives de denrées alimentaires qu'il faut payer d'une manière ou d'une autre. Les OGM sont également à mettre en cause. Loin d'être une solution à la faim dans le monde, ils ont, par la privatisation des semences, accru le coût de production des petits producteurs sans parler des risques écologiques.
À laisser la loi du marché jouer sans garde-fou, nous avons construit un monde où seuls les plus puissants peuvent se donner les moyens de protéger leur autosuffisance alimentaire. La Chine, l'Inde et dans une mesure moindre l'Algérie ont protégé leur agriculture et subventionné les productions locales. Ils avaient le poids suffisant pour se faire entendre de la Banque Mondiale, du FMI, de l'OMC et leurs populations sont aujourd'hui moins affectées. Mais quelle capacité de résistance pour le Burkina-Faso, le Mali ou le Sénégal ? Les pays à faible autosuffisance alimentaire doivent pouvoir rétablir des protections douanières protégeant leurs fragiles économies agricoles.
Mais les pays donateurs ne pourront faire l'économie de repenser et d'augmenter de façon substantielle leur aide. Les engagements annoncés dans le cadre du processus de Monterrey (0,7% du PNB pour l'Aide Publique au Développement) doivent être au minimum tenus alors que l'aide de la France vient de chuter à 0,39 % du PNB.
Il faut bien voir que l'augmentation de la demande des marchés chinois et indien suffit à garantir pour les décennies à venir des marchés florissants à nos économies agricoles.
Lors de la crise des pyramides financières qui avaient dévasté l'économie indonésienne, le seul établissement qui avait survécu était une banque de micro-crédit. Cela est à méditer. Penser que les pays pauvres pourraient rebondir sans que soit enfin instaurée une règle du jeu commune serait pure folie.
Trouver une réponse à cette crise majeure contribuera, j'en suis certain, à construire un monde plus juste. Il s'agit d'un avenir d'où nos enfants et petits-enfants nous regardent. Nous pouvons être à leurs yeux ceux qui auront précipité le désastre pour de pauvres intérêts à court terme ou défendu la planète pour le bien commun.